La période de fermeture de certains locaux et l’arrêt d’activité a impacté gravement la trésorerie de certaines entreprises.
Certains loyers n’ont pu être payés dans les délais ; certaines dispositions ont été adopté pour protéger les sociétés durant cette période.
I. Entreprises concernées.
Initialement, par le biais de l’article 11 de la loi n°2020-290 du 23/03/2020 (dite « loi d’urgence »), le législateur autorisait l’exécutif, par voie d’ordonnance, à ouvrir le bénéfice de cette mesure de « suspensio » des loyers et charges afférentes au bail commercial (factures d’eau, de gaz et d’électricité) seulement aux microentreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie.
Sous le vocable de « microentreprise », il convient d’entendre celles qui occupent moins de dix personnes et dont le chiffre d’affaires annuel ou le total de bilan n’excède pas 2 millions d’euros, au sens du décret n° 2008-1354 du 18/12/08.
Dans son ordonnance n°2020-290 du 25/03/2020, l’exécutif a finalement ouvert cette mesure à toutes les personnes physiques (autoentrepreneurs, professions artisanales ou libérales, …) ou morales de droit privée (SA, SAS, SARL, EURL, …) ainsi que celles poursuivant leur activité dans le cadre d’une procédure collective (sous réserve de la production d’une attestation du mandataire judiciaire).
Toutefois, sous cet aspect d’ouverture, le gouvernement y apporte pourtant une restriction de taille.
En effet, cette mesure de « suspension » des loyers et charges afférentes au bail commercial ne concerne que les entreprises éligibles au bénéfice du fonds de solidarité mis en place par l’État et par les régions (dont la demande s’effectue, au plus tard jusqu’au 30/04/2020, sur l’espace des particuliers sur le site www.impots.gouv.fr, onglet : « messagerie sécurisée », en sélectionnant sous « écrire », le motif suivant : « je demande l’aide aux entreprises fragilisées par l’épidémie Covid-19 ».
Pour information, le montant de l’aide est égal à la perte déclarée de chiffres d’affaires en mars 2020, dans la limite de 1.500,00€ et sous réserve éventuellement de nouvelles dispositions à venir).
En d’autres termes, selon l’ordonnance n°2020-317 du 25/03/2020 [1], il faut impérativement être une entreprise réunissant les conditions suivantes :
1) avoir subi une interdiction d’accueil au public selon l’article 8 du décret du 23/03/2020, et ce, même s’il existe pour cette entreprise une activité résiduelle telle que la vente à emporter ou la livraison (on pense ici notamment aux cafés, hôtels, restaurants, discothèques, brasseries, etc. qui sont, hélas, directement impactés par la situation) ;
2) avoir connu une perte de chiffre d’affaires de plus de 70% au mois de mars 2020 par rapport au mois de mars 2019. Ce seuil vient d’être ramené à 50% pour toutes les entreprises qui demanderont cette aide à compter du vendredi 3 avril 2020 (la notion de chiffre d’affaires s’entend comme le chiffre d’affaires hors taxes ou, lorsque l’entreprise relève de la catégorie des bénéfices non commerciaux, comme les recettes nettes hors taxes) ;
3) avoir un effectif, au plus, de 10 salariés ;
4) connaître une activité dont le chiffre d’affaires sur le dernier exercice clos est inférieur à 1.000,000€ (ou inférieur à 83.333,00€ pour les entreprises créées après mars 2019) ;
5) avoir un bénéfice imposable à 60.000,00€ (bénéfice réalisé entre la date de création et le 29/02/2020, ramené à 12 mois pour les entreprises créées après mars 2019) ;
6) avoir une activité qui a débuté avant le 01/02/2020, sans déclaration de cessation de paiement avant le 01/03/2020.
En conséquence, les entreprises dépassant l’un des seuils visés ci-dessus sont donc implicitement exclues d’un possible bénéfice au fonds de solidarité et, donc, de la mesure de « suspension » du paiement des loyers et charges afférentes.
De même, l’ordonnance exclue, cette fois-ci expressément, les titulaires d’un contrat de travail ou d’une pension de retraite ainsi que ceux ayant bénéficié au cours du mois de mars 2020 d’indemnités journalières de sécurité sociale d’un montant supérieur à 800,00€.
II. Sur la notion de « suspension » des loyers et charges afférentes au bail commercial.
La notion bien vague pour un juriste de « suspension », utilisée par le Président de la République lors de son allocution, restait naturellement à définir.
Initialement, via l’article 11 de la loi n°2020-290 du 23/03/2020 d’urgence, le Parlement autorisait le gouvernement à prendre une ordonnance (et les termes sont ici importants) « permettant de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures ».
Il était donc clairement question pour le Parlement d’habiliter le gouvernement à « reporter » ou à « aménager » (par exemple, sur base d’un échelonnement) le paiement des loyers et charges afférentes au bail commercial.
Or, contre toute attente, l’ordonnance n°2020-316 du 25/03/2020 opère un revirement de situation inattendu puisque son article 4 dispose que les personnes bénéficiaires du fonds de solidarité :
« (…) ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L622-14 et L641-12 du Code de commerce. Les dispositions ci-dessus s’appliquent aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée ».
En d’autres termes, il n’est absolument plus question ici d’un « report » ou d’un « aménagement » du paiement des loyers, via, par exemple, un échelonnement.
Seul réside dans l’ordonnance une sorte de mesure de « neutralisation temporaire » des sanctions pour non-paiement des loyers et charges échues entre le 12/03/2020 et un délai de deux mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire.
En conséquence, à la lecture du texte, le paiement des loyers et charges restent bien dus par le locataire du bail commercial, même durant cette période de crise sanitaire.
III. Critiques de l’ordonnance n°2020-290 datée du 25/03/2020.
Tout d’abord, la « suspension » porte en fait sur toutes les mesures qu’un bailleur serait en temps normal susceptible de prendre à l’encontre de son locataire pour non-paiement des loyers (c’est-à-dire, notamment, de réclamer des dommages et intérêts ou une astreinte pour retard de paiement, de faire usage de la clause résolutoire ou d’actionner une caution, etc.).
Certes, cette mesure est une avancée au bénéfice des locataires mais reste, selon nous, hélas bien insuffisante et dénature l’esprit initialement voulu par le législateur qui consistait en un report ou en un paiement échelonné des loyers.
Qu’en sera-t-il en cas de retard de paiement des loyers, une fois que l’état d’urgence aura cessé (c’est-à-dire, concrètement, dans un délai de deux mois après la cessation de l’état d’urgence) ?
Ceci est une vraie problématique.
En effet, en l’état des textes, un bailleur potentiellement peu conciliant pourra très bien prendre, sans délai, à l’encontre de son locataire des mesures coercitives en paiement (telle qu’une procédure de saisie-conservatoire par exemple) ou faire tout simplement usage de la clause résolutoire prévue dans le bail une fois l’état d’urgence terminé.
Conscients des difficultés actuelles, nous conseillons donc aux locataires de procéder, tant bien que mal, aux règlements de leurs loyers durant cette période de crise.
Ensuite, force est de constater que bon nombre de locataires sont mis à l’écart par cette mesure qui ne vise finalement que les TPE éligibles au bénéfice du fonds de solidarité.
Ainsi, on pense aux PME et aux plus grandes entreprises qui sont tout simplement laissées de côté.
De même que les TPE qui ont été créées après mars 2019 puisqu’elles ne pourront justifier de la perte de 70% de leur chiffre d’affaires sur un an.
Ceci est fort regrettable et nous espérons pour elles que d’autres textes éventuels viendront rectifier le tir.
IV. Piste envisageable.
D’un point de vue juridique, nous comprenons que le pouvoir exécutif ne puisse porter atteinte à la force exécutoire des contrats, lesquels tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits lorsqu’ils ont été légalement formés (en ce sens : article 1103 du Code civil ; article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales).
Toutefois, une mesure de report a minima aurait, selon nous, été parfaitement appropriée, eu égard à la situation exceptionnelle de crise actuelle. Certains auteurs nous confortent d’ailleurs dans ce raisonnement [2].
Dès lors, l’une des pistes de réflexion porte sur l’utilisation de l’article 1195 du Code civil devant les juridictions par les locataires qui seraient potentiellement lésés par un refus de révision de leurs loyers.
En effet, cet article permet une possible révision du loyer en cas de « circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat », rendant son exécution « excessivement onéreuse » pour une partie (ici, le locataire) qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque.
L’article 1195 précité dispose alors expressément que cette partie peut demander « une renégociation du contrat à son cocontractant ».
Il n’est pas à exclure que les juridictions reconnaissent comme relevant d’une « circonstance imprévisible » au moment de la conclusion du bail commercial le risque épidémique du covid-19, surtout pour les entreprises ayant subi une interdiction d’accueil au public, tel que notamment les hôtels, restaurants, cafés, bars, brasserie et discothèques.
Ainsi, faute de résolution amiable avec leurs bailleurs pour une réévaluation à la baisse du loyer due aux circonstances exceptionnelles de l’épidémie de coronavirus, il semble a priori envisageable pour les locataires concernés d’invoquer l’article 1195 du Code civil devant les Tribunaux.